La Publicité Scientifique: juin 2006



dimanche 18 juin 2006

Chapitre 10 - L’inabordable

L’inabordable

Il est des choses qui coûtent trop cher pour être tentées. C’est une raison supplémentaire pour laquelle tout projet, comme toute méthode, doit être soigneusement pesé et décidé en terme de bilan entre le coût et le résultat.

Changer les habitudes des gens coûte très cher. Un projet qui impliquerait une telle condition mérite une sérieuse réflexion. Pour vendre de la crème à raser aux paysans russes, il faudrait d’abord leur faire perdre l’habitude de porter la barbe. Ce qui peut revenir trop cher. Et pourtant, d’innombrables annonceurs essaient de réaliser des projets aussi impossibles. Pour la seule raison qu’ils ne se donnent pas la peine de bien les considérer et qu’ils n’effectuent aucun contrôle des résultats.

Un annonceur pour un dentifrice, par exemple, peut dépenser une fortune pour apprendre aux gens à se laver les dents. Nous avons estimé, par des tests, qu’une telle éducation nous reviendrait de 20 à 25 dollars par converti. Pas uniquement à cause de la difficulté, mais surtout parce que la plus grande partie de cette publicité va atteindre des gens dà convertis également.

Une telle dépense est impensable. Une vie de consommateur ne suffirait pas à en couvrir les frais. Le fabricant qui fut informé de cela par les tests ne tenta jamais d’enseigner aux gens à se brosser les dents. Et ce qui n’est pas rentable à grande échelle ne l’est pas plus sur une petite. C’est pourquoi vous ne lirez pas un mot sur ce sujet dans une annonce.

Un autre fabricant de pâte dentifrice dépensa beaucoup d’argent à convertir les gens à l’usage de la brosse à dents. Le mobile en est louable et altruiste. Cependant le marché qu’il crée est aussitôt exploité par ses concurrents. Et il finit par se demander pourquoi ses ventes ne s’accroissent pas au prorata du montant des dépenses.

Un annonceur investit une forte somme pour éduquer les gens à la consommation de flocons d’avoine. Ses résultats furent si minimes qu’ils passèrent inaperçus. Tout le monde connaît les flocons d’avoine aux Etats-Unis, c’est l’aliment pour enfants par excellence, les médecins les recommandent depuis des générations. Par conséquent, les gens qui n’en mangent pas ont probablement leurs raisons, les faire changer d’avis s’est avéré insurmontable. Quoiqu’il en soit, le coût de l’opération se situait bien au-delà de tout bénéfice possible.

De nombreux annonceurs connaissent bien ce phénomène et ne songeraient jamais à mener campagne pour un objectif aussi inaccessible. Et pourtant, ils lui consacrent une partie de leur encart. C’est aussi insensé, même à plus petite échelle. Ce n’est pas du bon travail.

Vous ne verrez jamais un producteur d’oranges ou de raisin essayer de développer la consommation de ses fruits. Le coût de l’opération dépasserait beaucoup trop les gains supplémentaires possibles. Par contre, des producteurs se sont réunis pour le faire et ceci pour bien des produits. Et c’est là que réside une immense ouverture pour la publicité. La consommation globale de produits peut ainsi s’accroître de façon très rentable. Mais il faut que cela soit le fruit d’une collaboration très étendue entre de nombreux fabricants.

Un annonceur isolé ne peut pas se permettre d’éduquer les gens sur la nécessité des vitamines ou des germicides. Les autorités s’en chargent sur d’innombrables colonnes d’espace gratuit. Cependant, beaucoup d’annonceurs ont eu de grands succès en s’adressant à la clientèle récemment informée par ces campagnes.

Il est très astucieux d’être à l’affût des courants populaires, de la naissance de nouveaux besoins pour, au bon moment, être prêt à offrir un produit qui va répondre à ces désirs tout neufs. C’est ce que l’on a fait avec les levures, par exemple, ainsi qu’avec de nombreux antiseptiques. Et on peut le faire chaque année à partir de l’observation des modes ou des influences nouvelles que l’on voit se répandre rapidement. Mais c’est tout autre chose que d’essayer de créer cette mode, ce goût nouveau ou ce courant d’influence, dont tout le monde va aussitôt tirer parti sur le marché.

Nous connaissons des produits que l’on pourrait facilement vendre à la moitié des foyers du pays. Un germicide liquide au dakin, par exemple. Mais la consommation serait beaucoup trop faible. Un petit flacon durerait des années. L’acquisition d’un client reviendrait à un dollar cinquante en moyenne, il faudrait compter dix années de bénéfices pour rentrer dans nos frais.

Des articles à vente unique atteignent rarement un coût de vente inférieur à deux dollars cinquante, bien qu’ils soient populaires et qu’on les vende par correspondance ou autrement. Il ne faut pas perdre ce chiffre de vue quand on songe à promouvoir ce genre d’article. Il est probable qu’un consommateur en amènera d’autres, mais une observation rigoureuse des résultats, comme le pratique la publicité par correspondance, interdirait bien des actions entreprises dans ce domaine.

Combien d’erreurs coûteuses ne sont-elles pas commises en suivant aveuglément des idées mal pensées. Un même article peut, par exemple, avoir plusieurs utilisations dont l’une est de prévenir la maladie. Or, en dépit de la logique, la prévention n’est pas populaire. Les gens feront tout leur possible pour se guérir mais presque rien pour rester en bonne santé. Bien des déceptions ont conduit à cette constatation.

On peut dépenser une fortune à prôner la prévention alors que le même argent misé sur un autre argument rapporterait cent fois plus de ventes. Un bon argument dans un titre obtient des résultats dix fois supérieurs à un autre, moins judicieusement choisi. Un annonceur peut s’égarer longtemps avant de découvrir cette simple cause.

Une pâte dentifrice peut permettre de lutter contre la carie dentaire. Elle peut aussi donner de belles dents. Des tests vous montreraient probablement que le second appel sera cent fois plus entendu que le premier. Les annonceurs qui ont connu le plus de succès avec du dentifrice n’ont jamais cité le moindre problème dentaire dans leurs titres. Des tests leur ont révélé l’effet négatif d’une argumentation répulsive.

Un savon peut soigner l’eczéma, il peut aussi embellir le teint. L’argument anti-eczéma va interpeller une personne sur cent, celui sur le teint parlera à tout le monde. Mais le seul fait de mentionner l’eczéma risque de détruire l’effet produit pour le teint.

Un homme s’est guéri de son asthme. Ce médicament lui a fait tellement de bien qu’il croit détenir un bon produit à promouvoir. Cependant, nous n’avons aucune statistique sur ce point, nous ne savons pas combien de personnes souffrent de l’asthme, peut-être une sur cent. Ce qui signifie que les annonces seraient parcourues par cent lecteurs inutiles avant d’atteindre le client ciblé. Le coût des résultats serait de vingt fois supérieur à celui d’un article s’adressant à une personne sur cinq. Ce coût excessif donnerait lieu à un désastre. C’est pour des raisons semblables que tout nouvel annonceur ferait bien de prendre un conseil avisé car un publicitaire expérimenté qui a son métier à coeur ne l’enverrait jamais dans des sables aussi mouvants.

Certains arguments, bien que peu populaires en général, le sont quand même suffisamment pour que l’on y prête attention. Ils peuvent influencer un certain nombre de gens, disons le quart des consommateurs potentiels. Ces arguments peuvent donner lieu à un certain nombre de titres d’annonces et devraient probablement être inclus également dans le texte lui-même. Il serait peut-être bon de l’inclure dans tous les textes d’annonce. Mais la décision ne dépend pas d’un jeu de devinettes, elle doit résulter d’une connaissance précise, fruit du suivi des réponses.

Ce chapitre, à l’instar de tous les autres, souligne la grande importance qu’il y a à connaître vos résultats. Sinon, une publicité scientifique est impossible. Pas plus qu’une publicité sans danger. Pas davantage que l’espoir de bénéfices optimums.

En ce domaine, les tâtonnements dans le brouillard ont dû coûter de quoi largement rembourser la dette publique. Les cimetières de la publicité en sont remplis. C’est ce qui a découragé des milliers d’annonceurs qui auraient pu connaître un bel avenir. Et l’aube de la connaissance est ce qui annonce une journée nouvelle pour le monde de la publicité.

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